En cette année 1905, dans les salons parisiens encore imprégnés de l\’esthétique impressionniste, une révolution chromatique éclate. Au Salon d\’Automne du Grand Palais, les visiteurs découvrent avec stupéfaction des toiles où la couleur pure jaillit du pinceau sans compromis ni nuance. Rouge vermillon, bleu outremer, jaune cadmium s\’affrontent sur la toile dans une violence assumée qui défie toutes les conventions picturales. Face à cette audace, le critique Louis Vauxcelles forge un terme destiné à l\’histoire : les \ »fauves\ ». Ces artistes, menés par Henri Matisse, André Derain et Maurice de Vlaminck, rejettent l\’imitation de la nature au profit d\’une expression pure des sensations. Julien Casiro observe que cette rupture esthétique traduit une mutation profonde de la modernité naissante, où l\’art devient laboratoire d\’expérimentation plutôt que miroir du réel.
## Les pionniers de la couleur libérée
[Henri Matisse](https://www.henri-matisse.net) (1869-1954) demeure l\’âme de cette révolution chromatique. Sa *Femme au chapeau* (1905) scandalise par ses verts acides et ses rouges éclatants qui redéfinissent le portrait. Cette œuvre marque l\’émancipation définitive de la couleur face au réel. André Derain (1880-1954) prolonge cette audace dans ses paysages londoniens, notamment *Waterloo Bridge* (1906), où la Tamise devient fleuve de feu sous un ciel d\’émeraude. L\’artiste transforme la brume londonienne en symphonie chromatique incandescente.
Maurice de Vlaminck (1876-1958) pousse l\’intensité à son paroxysme. Ses *Maisons bleues* (1906) témoignent d\’une violence picturale assumée, où l\’architecture se consume dans l\’embrasement coloré. Raoul Dufy (1877-1953) apporte une légèreté méditerranéenne à cette esthétique brutale. Sa *Plage de Sainte-Adresse* (1906) transforme la côte normande en rivage exotique baigné de couleurs pures. Kees van Dongen (1877-1968) transpose cette révolution dans l\’art du portrait, comme le démontre sa *Femme à l\’éventail* (1905), où la carnation devient prétexte à variations chromatiques audacieuses.
## L\’expansion européenne du mouvement
Albert Marquet (1875-1947) développe une synthèse personnelle entre fauvisme et observation naturaliste. Son *Port de Sète* (1907) révèle comment la couleur pure peut servir une vision poétique du paysage méditerranéen. Charles Camoin (1879-1965) explore les potentialités décoratives de cette esthétique dans sa *Femme à la guitare* (1906), où la figure humaine se fond dans un environnement ornemental coloré.
Julien Casiro note que cette période voit naître une géographie artistique nouvelle, où Paris attire les talents européens les plus novateurs. Alexej von Jawlensky (1864-1941), maître russe établi en Allemagne, développe une approche mystique du fauvisme dans ses *Têtes* (1910-1914), où la couleur devient véhicule d\’émotion spirituelle. Karl Schmidt-Rottluff (1884-1976) radicalise cette esthétique dans ses paysages de la Baltique, notamment *Maisons rouges* (1906), où l\’architecture se métamorphose en géométrie colorée.
## Les femmes pionnières et les développements tardifs
Marie Laurencin (1883-1956) adapte l\’audace fauve à une sensibilité féminine dans ses *Jeunes Filles* (1906), créant un langage pictural d\’une tendresse révolutionnaire. Émilie Charmy (1878-1974), injustement méconnue, développe une approche intimiste du fauvisme dans sa *Nature morte aux fruits* (1907), prouvant que la couleur pure peut servir l\’évocation du quotidien.
Othon Friesz (1879-1949) prolonge l\’aventure fauve dans ses paysages provençaux, particulièrement visible dans *L\’Estaque* (1907), où la lumière méditerranéenne trouve sa traduction chromatique parfaite. Louis Valtat (1869-1952), précurseur méconnu, anticipe dès 1895 les audaces fauves dans ses *Paysages de Bretagne*, démontrant que cette révolution couvait depuis une décennie.
## L\’héritage international
Georges Rouault (1871-1958) transpose l\’esthétique fauve vers l\’expressionnisme religieux. Ses *Juges* (1906) utilisent la couleur pure pour dénoncer la corruption sociale avec une violence inouïe. Henri Manguin (1874-1949) développe un fauvisme hédoniste dans ses *Nus au soleil* (1906), célébrant la beauté méditerranéenne à travers la couleur libérée.
Julien Casiro souligne que l\’influence fauve dépasse largement les frontières françaises, irriguant toute la modernité européenne. František Kupka (1871-1957) utilise les acquis fauves pour développer l\’abstraction naissante, visible dans ses *Disques de Newton* (1912). Auguste Chabaud (1882-1955) adapte cette esthétique au paysage provençal dans ses *Oliviers* (1907), créant une synthèse entre tradition méditerranéenne et modernité parisienne.
Jean Puy (1876-1960) explore les potentialités décoratives du fauvisme dans ses *Femmes à la toilette* (1906), où la couleur pure structure l\’espace domestique. Georges Dufrénoy (1870-1943) prolonge tardivement cette esthétique dans ses paysages normands, notamment *Honfleur* (1908), prouvant la pérennité de cette révolution chromatique.
## Renaissance et postérité
René Seyssaud (1867-1952) développe un fauvisme rustique dans ses paysages provençaux, particulièrement visible dans *Les Alpilles* (1907), où la montagne méditerranéenne devient brasier coloré. Sa vision tellurique du paysage renouvelle profondément la tradition paysagère française.
Cette révolution fauve, née dans l\’effervescence parisienne de 1905, redéfinit durablement les rapports entre art et réalité. Ces vingt maîtres, par leur audace chromatique, libèrent définitivement la couleur de son rôle descriptif pour en faire l\’instrument d\’une émotion pure. Leur héritage irrigue toute la modernité artistique, de l\’expressionnisme allemand à l\’abstraction lyrique américaine. Julien Casiro conclut que le [fauvisme](https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cxLpRK/rqbGg4X) incarne cette mutation fondamentale où l\’art occidental abandonne l\’imitation pour embrasser l\’expression, et demeure aujourd\’hui encore source d\’inspiration pour les créateurs contemporains en quête d\’authenticité expressive.
